Je rêve que je rêve

Dormir, ou plutôt s’endormir, est un challenge qui revient chaque soir. Comme une coupe que je remettrais en jeu, indéfiniment. Hier j’ai gagné contre l’insomnie, mais ce soir elle revient, et c’est le match retour, la belle, la consolante, ce que vous voulez, mais c’est un combat.

Un lit de princesse, voilà ce qu’i me faudrait. Non ce serait pire. Il me faudrait un lit où l’on peut se lever , lire , repasser. Repasser ? Oui un peu d’activité manuelle silencieuse, la nuit, cela apaise. Repasser donc ? Que sais-je ? Tricoter ? Cela demande trop de concentration. Faire les poussières ? Tiens ! Oui, voilà , faire les poussières que je ne fais jamais. Mais la nuit, il n’y a pas assez de lumière, et la nuit, je suis comme un zombie, la nuit, je ne suis bonne à rien .

Lire ou écrire. Faire des projets. La nuit, je n’ai plus de barrière , je me crois tout possible. Je n’ai plus de lobe frontal. Peut-être un jour je serai comme Peter Pan, la nuit, et je volerai.

Mais voilà, la nuit il y a aussi les bébés qui pleurent, et c’est étrange, cela arrive justement quand, après des heures de combat et de rage, je me suis affalée, hébétée, sur mon lit, et que la brume du sommeil m’a enfin envahie.

La nuit, parfois, il y a une moto qui passe, et qui déchire le silence, parce que son audacieux conducteur a trafiqué le pot d’échappement, pour exister aux yeux des passants. Je le maudis sans vergogne, le petit con. La nuit, parfois, il y a un téléphone qui sonne par erreur, ou des notifications whats’up des copains éméchés, qui échangent mille âneries . Pourquoi ,mais pourquoi n’ai-je pas mis mon téléphone hors ligne ? Si, je sais, c’est pour l’un ou pour l’autre, pour qu’ils puissent me joindre si besoin.

Le matin, il y a parfois le petit qui veut son bib, ou les poubelles qui passent bruyamment, et puis,enfin, il y a le petit jour. Je m’extirpe péniblement de mon lit. Je me réveille comme un corps échoué sur le rivage de l’aube. Sans force, sans esprit. Je n’ai pas pu ou pas voulu me coucher, je ne peux pas, ni ne veut pas, me lever. Je m’extrais péniblement de mon lit et de la nuit.

J’ai souvenir de ces journées post-insomnies où le seul fait de me parler, déclenchait d’invisibles larmes . Souvenir de ces jours, ou j’étais aussi zombie que la nuit, mais ou le pilote automatique ne fonctionnait pas si mal , donnant le change aux collègues et aux amis.

J’ai à peu près tout entendu à propos de l’insomnie. Que j’avais besoin de peu de sommeil, puisque, déjà enfant, je lisais deux livres avant de m’endormir, ou que je passais le début de ma nuit à contempler les orages . « Tu es de ces gens brillants qui changent le monde » ( Ah bon ? Je voudrais juste changer mes nuits !)

J’ai rencontré, très jeune, des médecins qui m’ont donné des benzodiazépines , sans me prévenir à quel monstre, dragon ou minotaure, ils me livraient . J’ai avalé avec la bénédiction de l’académie Valium ( à 17 ans ) Halcion ( 20 ans) Stilnox . Ah le Zolpidem ! encore plus efficace quand on le croque ! Miansérine, Laroxyl, Myolastan, Séresta, Témesta, Lexomil. Je les ai tous testés, je pourrais écrire un Trip Advisor de mes trips nocturnes avec ces produits. J’ai même eu un neuroleptique, espérant ainsi me sevrer de ces sorcières du sommeil.

Que les journées étaient belles quand je savais que j’allais bien dormir, je savais qu’en avalant la pastille magique, une douceur et un bien être remplacerait l’habituelle lutte contre mon lit. J’attendais , après mes grosses journées à responsabilité, ce moment ou je me pelotonnerais dans mon cocon , dans un oubli , dans un rien, ou je serais à l’abri de mes mille pensées, des mille assauts de mon cerveau enfiévré, incapable de se mettre de lui -même sur off.

Mais je n’en suis pas restée là. La chimie c’est le mal. Surtout, SURTOUT , les benzodiazépines : ces trucs-zépam et tutti quanti, C’est le maxi-mal. Après les mea culpa, mea maxima culpa de mon enfance catholique, bien sous tout rap, je suis passée au mea culpa des somnifères . Dans le Trip Advisor volume 2 , je pourrais décrire les séances de yoga, de sophro, de relaxation-les-yeux-ouverts.Je n’ai pas encore essayé l’hypnose. J’ai chanté, marché, fait du ski pendant plus de 6 heures, pour essayer de me faire dormir. Acheté des boules quiès en mousse puis sur mesure ….

J’ai consulté un psychiatre qui m’a dit solennellement qu’il ne pouvait rien pour moi, puisque je n’étais pas du tout malade, juste épuisée. J’ai raclé mes fonds de souvenir enfantins, j’y ai appris de nombreuses choses, fort utiles pour avoir le mode d’emploi de moi même. Mais j’espérais y dénouer LE traumatisme qui m’empêchait de dormir, et cela aussi fut inefficace.

Parfois au cinéma je vois la scène improbable de quelqu’un qui se couche et qui s’endort. « C’est donc si simple que cela ? Dormir ? S’allonger, fermer les yeux, et s’endormir ? Pour certains en tout cas, semble-t-il.  » Je regarde alors avec intensité, comme si ce savoir faire, ce savoir dormir pouvait traverser l’écran, et comme dans une infusion, me transmettre le gêne du sommeil qui me manque.

Dormir. Dormir. J’ai lu que, s’il n’y avait pas d’insomniaques de toutes espèces, ceux du soir comme moi, ou ceux de milieu de nuit , l’espèce aurait disparu. Dans mon immense contentement de descendre d’un lointain aïeul, qui a permis cette survie, je me maudis quand même, puisque maintenant, nous avons des portes et des murs qui nous protègent des grosses bêtes. Le savoir-veiller est devenu totalement obsolète et inutile.

2 réflexions sur « Je rêve que je rêve »

  1. Chère Brigitte, je suis des lecteurs de votre livre. Et accessoirement un confrère. J’aimerais savoir: le texte ci-dessus est-il une fiction ou raconte-t-il vos insomnies dans la vraie vie ? Dr TL Huynh

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